Persécution religieuse en Russie

L’association religieuse : " Communauté des tempérants " (ou abstinents), vit le jour à Moscou en tant que mouvement de portée morale au sein de l’Eglise Orthodoxe au début du siècle, en 1904.

Selon le modèle existant alors à Saint Pétersbourg et dans d’autres villes, le mouvement était dirigé exclusivement dans la lutte contre le développement croissant de l’ivrognerie qui apparaissaient comme une racine de nombreux maux.

Les mouvements de tempérance fondés de la religion sont bien connus dans l’histoire des siècles passés.

Dans différents pays, des victimes de l’alcoolisme ayant connu la régénération au travers de la Parole de Dieu eurent à faire face à une existence difficile.

Plusieurs d’entre eux consacrèrent leur vie au service de ces pécheurs perdus et misérables, tels qu’ils l’avaient été eux-mêmes jusqu’à leur conversion.

Leurs activités consistaient dans la prédication du salut en Jésus-Christ parmi les esclaves de l’alcoolisme exclus de la société.

L’un des représentants les plus actifs de ce mouvement à Moscou fut Ivan NICOLAEVITCH KOLOSKOV, successeur de I. TCHOURINOV, prédicateur de la tempérance bien connu à Saint Pétersbourg.

La prédication des tempérants dénonçait souvent le clergé, plongé dans ces vices, et naturellement il s’en suivait des persécutions de la part des autorités excitées par le clergé.

C’est ainsi par exemple qu’en 1904-1905, à l’instigation des prêtres, un procès fut intenté à KOLOSLOV, qui eut lieu dans la ville de VLADIMIR. Ivan NICOLAEVITH et sa communauté furent accusés de dissolution sexuelle lors des réunions.

Les Tolstovistes [i] assistaient au jugement en tant que jurés, qui influencèrent le déroulement du procès et un non-lieu fut prononcé. L’accusation ne fut pas retenue. Dès ce moment, Ivan NICOLAEVITCH établit une relation étroite avec les Tolstovistes, impressionnés par sa manière de concevoir le monde.

Ivan NICOLAEVITCH fut un prédicateur inspiré et un pasteur au grand cœur. Il vint en aide à de nombreux ivrognes convertis, en assurant leur existence future par un travail personnel et en leur fournissant des moyens.

C’est ainsi que furent organisés, des exploitations agricoles communes, des colonies d’enfants pour les orphelins et les membres nécessiteux de la communauté, des ateliers de cordonnerie et ce jusqu’à la révolution.

Un réseau de restaurants végétariens fut mis en place pour la satisfaction des chômeurs et où l’on y prêchait l’Evangile.

Des habitations collectives furent créées ainsi que des dispensaires d’aide médicale et des moyens typographiques furent mis en place.

La grande vertu des tempérants suscitait le respect de la part de tous. Leur manière de vivre la collectivité avait de nombreux point commun avec l’Eglise primitive.

La communauté établit des filiales à PAVLOV POSAD dès 1923 ainsi que dans d’autres districts de la région de Moscou.

En 1921, KOLOSKOV se trouve pour la première fois dans une réunion de l’Union des Chrétiens Evangéliques que dirigeait à cette époque PROKHANOV, bien connu dans le monde entier.

Acceptant la foi évangélique, il reçoit la bénédiction et travaille dans sa communauté, dans l’esprit évangélique. Rapidement, toute la communauté accepte la foi évangélique. En 1925, ayant entendu dire qu’à ODESSA dans l’assemblée de VORONAIEV (appelés Pentecôtistes), on y prêchait là le baptême du Saint Esprit, il s’y rendit et revint baptisé du Saint Esprit.

La communauté des tempérants reçut l’enseignement sur le baptême du Saint Esprit et s’appela dès lors : " Chrétiens de foi évangélique – tempérants. "

En 1926, après l’accueil du Saint Esprit par la communauté, l’ancienne secrétaire de l’alliance BELMER ZORA IAKOVLEVNA partit chez PROKHANOV et Maria IAKOVLEVNA ZAKHAROVA la remplaça.

Dès 1920 – 1921, des persécutions systématiques commencèrent à l’encontre des sectes et des organisations [ii] .

L’idée commune de l’édification du communisme sous divers courants idéologiques, qui avait trouvé place dans le cœur de quelques chrétiens peu instruits et à courte vue commença à faire fiasco.

On peut éprouver toute la tragédie intérieure du naufrage de ces représentants à la lecture du rapport adressé au pouvoir central par la communauté des tempérants.

C’est en 1929, qu’entra en vigueur la " législation sur les cultes et les associations
religieuses. "

Ainsi furent enregistrés auprès des autorités à ODESSA : l’union chrétienne évangélique avec à sa tête VORONAIEV, l’union chrétienne de foi évangélique de MOSCOU sous la direction de PROKHANOV, les tempérants et beaucoup d’autres également. (Il n’était question pour personne à cette époque de se soustraire à l’enregistrement).

Malgré cela les communauté énumérées plus haut furent en butte à une répression féroce jusqu’à leur complet anéantissement.

C’est ainsi que cessa d’exister l’union des chrétiens évangéliques et peu nombreux sont ceux qui évitèrent la prison, la déportation et les camps d’internements.

La communauté des tempérants de MOSCOU et de sa région qui comptait à ce moment-là plus de 500 personnes cessa d’exister.

L’union évangélique chrétienne cessa également d’exister ainsi que les serviteurs et prédicateurs qui furent cruellement réprimés.

PROKHANOV qui était alors bien connu dans le monde, échappa à l’arrestation en restant à l’étranger où il s’était rendu pour assister à un congrès international.

Les autorités ripostèrent au rapport des tempérants en lançant un mandat d’arrêt contre les dirigeants de la communauté des tempérants.

Il y a d’abord 4 arrestations, puis ce fut le tour de nombreux membres de la communauté. Une demande d’émigration fut refusée par le pouvoir. Ce que l’on reprochait à KOLOSKOV et à ses sympathisants c’est d’avoir diffusé à l’étranger le rapport en question.

Cela fut considéré par les autorités comme une circonstance aggravante. " Comment ce document avait-il pu parvenir hors des frontières ? "

Voici quelques exemples de fins caractéristiques de combattants de la foi évangélique (selon les récits de témoins oculaires).

1 – I. E. VORONAIEV fut arrêté en 1929 et condamné à 10 ans de réclusion. Des frères emprisonnés avec lui relatent ce qui suit.

VORONAIEV fut envoyé dans les monts Oural où il travailla jusqu’à la guerre dans des exploitations forestières. Un jour, revenant du travail en colonne, alors qu’il se trouvait au dernier rang, il fut contraint de s’arrêter un instant avec un frère par suite d’un moment d’épuisement. Les soldats lancèrent sur eux les chiens d’escorte qui mordirent sauvagement les deux frères.

VORONAIEV souffrant cruellement de ses blessures fut emporté sur une civière dans un local proche où il reçut les premiers soins. Mais perdant son sang, avec un organisme déjà très affaibli, I. E. VORONAIEV ne survécut que quelques heures à ses blessures. L’autre frère, dont le nom ne nous est pas connu, resta en vie.

La femme de VORONAIEV, après avoir passé de longues années en déportation, se retrouvant sans ressources à un âge avancé et épuisée à tous points de vue, fut recueillie par ses enfants aux U.S.A.

Tous les membres dirigeant de l’Union d’ODESSA, connurent un sort semblable ainsi que de nombreux prédicateurs tel que KALTOVITCH, GALTCHOUK et bien d’autres.

2 – IVAN NICOLAEVITCH KOLOSKOV fut arrêté à BAKOU alors qu’il tentait de partir à l’étranger.

La secrétaire de l’Association Maria I. ZAKHAROVA fut également arrêtée. Il y avait eu la veille de nombreuses arrestations dans l’assemblée des tempérants.

Emmenés à MOSCOU, les futurs prisonniers y furent retenus 6 mois pour l’instruction de leur procès, ils reçurent le verdict d’une commission de trois personnes à huis clos : Maria fut condamnée à 5 ans et Ivan NICOLAEVITCH à 10 ans de détention politique en cellule.

Ils furent ensuite dirigés sur le pénitencier politique de IAROSLAV et placés dans des cellules contiguës de sortes qu’ils pouvaient se voir une quinzaine de minutes lors de la promenade.

En 1932, le droit de correspondre avec sa femme et ses enfants fut supprimé à KOLOSKOV.

Les visites de ses fils au parloir furent interdites.

Ivan NICOLAEVITCH exigea auprès du surveillant en chef le rétablissement de ces privilèges. Celui lui fut refusé. Il se mit alors à jeûner, sans prendre de nourriture, ce qu’on nomme en langage politique faire " la grève de la faim ". Au cinquième jour de grève cela fut connu de plusieurs détenus et de l’administration. On l’enferma dans une autre cellule.

Par la fenêtre, il informa tous les prisonniers de sa situation. En représailles, les geôliers l’arrosèrent d’eau froide à la lance à incendie. C’est à ce moment-là qu’il contracta la tuberculose du larynx et fut transféré dans les sous-sols de la prison, dans un cachot.

En soutien à KOLOSLOV, les autres prisonniers se mirent à frapper aux portes. Les détenus politiques qui la veille scandaient " vive les Trotskistes, Léninistes, Hourra ! " criaient maintenant : " bourreaux, qu’est-ce que vous faites !! "

Une heure plus tard, on ramena KOLOSLOV dans sa cellule. A l’aide de signaux, ZAKHAROVA fut informée que le " général " avait failli l’étrangler. Il s’agissait d’un gardien parmi les plus féroces surnommé " le général. "

Au matin, Maria entendit la faible voix de KOLOSLOV : " Je meurs ". Maria sonna pour appeler un gardien, mais aucun ne se présenta.

Le soir de ce jour, revenant des toilettes, Maria vit un tas d’ordures et de restes de pain près de la porte de la cellule de KOLOSLOV, signe évident que la cellule avait été mise en ordre par les détenus et qu’elle était vide.

Ces derniers, qui avaient assisté à l’enlèvement du corps de KOLOSLOV le lui cachèrent longtemps, peinés pour elle, car ils connaissaient son attachement pour son pasteur.

Lors de la visite autorisée du fils de KOLOSLOV, on l’informa que son père n’était plus en vie. Voyant son chagrin, le directeur de la prison lui dit :  J’ignorais que vous aviez autant d’affection pour votre père étant donné qu’il était ennemi du peuple.  

On lui remit les vêtements de son père. Le plastron de sa chemise était taché de sang qui s’était échappé de sa gorge et aucun soin médical ne lui avait été prodigué.

Maria survécut péniblement à la mort de son " cher petit frère ". Et aussi, elle purgea sa peine 5 ans en cellule.

3 – Le sort de Maria IAKOVLEVNA ZAKHAROVA est un exemple très typique de celui que beaucoup eurent à subir dans ces temps de persécution et en particulier les adeptes des sectes.

En 1934, après avoir purgée sa peine de 5 ans d’emprisonnement, ZAKHAROVA fut conduite sous escorte à MOSCOU. Le jour suivant de son arrivée, le juge d’instruction et deux soldats l’emmenèrent à ALMA ATA en exil pour 2 ans et sans jugement ni verdict.

Après ces deux années, Maria revint à MOSCOU sa ville natale, où l’on refusa de l’enregistrer et elle fut obligée de s’en aller à TACHKENT. De TACHKENT, elle déménagea à VLADIMIR, puis ce fut la guerre et l’évacuation.

Après la guerre, séjournant à MOSCOU, elle fut convoquée au ministère chargé de la sureté de l’état. On lui proposa : " ou vous travaillez secrètement comme indicateur parmi les croyants, où vous quittez MOSCOU dans les 24 heures sans autorisation de séjourner dans les grandes villes. "

Elle partit s’installer à MALOIAROSLAVETZ. Sa parenté fut désavouée à cause d’elle, et même son frère fut exclu du parti pour avoir une sœur pareille. Elle vécut en appartement chez des chrétiens, sans possibilité de travailler et elle dut gagner son pain en faisant des travaux de couture à domicile. Voilà plus de 30 ans qu’elle vit à MALOIAROSLAVETZ, sans foyer et sans pension.

En 1966, à l’âge de 62 ans, passé le délai de prescription de 12 années, le comité exécutif du soviet du district de MALOIAROSLAVETZ, après examen de sa requête, lui octroya une allocation dérisoire d’un montant de 10 roubles.

Agée de 81 ans – elle est née en 1899 – elle vit depuis 14 ans avec le secours accordé par l’état soit 10 roubles. Mais les chrétiens ne l’abandonnent pas, ils subviennent à ses besoins et la reçoivent dans leurs maisons.

Actuellement à MALOIAROSLAVETZ, la communauté chrétienne de foi évangélique pentecôtiste dont Maria IAKOVLEVNA ZAKHAROVA est membre, a pour pasteur Ivan PETROVITCH FEDOTOV, lui-même ancien détenu ayant purgé une peine de 13 ans de prison.

Cette communauté compte d’autres membres qui furent emprisonnés à cause de leurs convictions et eurent à subir la rage et les accusations des autorités soviétiques.

Ces dernières exigeaient de la communauté, qu’elle se soumette à la " législation relative aux associations religieuses " et soit enregistrée, donnant la première place de la direction de la vie de la communauté au Comité exécutif de la ville.

Deux exemples suffisent pour montrer l’incompatibilité du mode de pensée et de la vie de l’Evangile avec la législation athée.

Premier exemple : Il est interdit à la communauté quelle qu’elle soit, d’exercer la bienfaisance sous prétexte que l’état assume le sort du citoyen socialiste. Accepter cette condition inhumaine pour assurer la tranquillité, serait faire injure à Maria IAKOVLEVNA ZAKHAROVA, la crucifier, et la vouer à une mort lente avec ses dix roubles par mois. C’est un lent assassinat.

Autre exemple : le second point de la législation exige que la religion ne soit pas enseignée aux enfants et qu’on ne les empêche pas d’adhérer aux mouvements [iii] d’enfants et d’adolescents, aux jeunesses communistes, et de participer à toutes les manifestations athées et politiques. Il est de plus formellement interdit qu’ils participent aux réunions chrétiennes d’enfants, même accompagnés par les parents.

Ces exemples sont suffisants pour comprendre les raisons de refuser, pour une communauté, d’être enregistrée, c’est-à-dire de se mettre sous le contrôle des athées.

On peut se poser la question : " Est-ce que vraiment il n’y avait pas d’églises enregistrées en 1929 ? "

Il y en avait et néanmoins le fait d’être enregistrées ne les a pas sauvées de la persécution. Accepter les lois athées au lieu de celles de Dieu, cela équivaut à se suicider, ce dont les autorités ne veulent pas être tenues pour responsables.

MOSCOU, décembre 1980


[i] NDT : Mouvement inspiré de Tolstoï qui était croyant et théologien.

[ii][ii] Article 4 d’une lettre ouverte.

[iii] (OCTOBRIADES) jusqu’à 10 ans – PIONNIERS jusqu’14 ans. Puis JEUNESSES COMMUNISTES.